Les 90's ou quand l'alternatif devient mainstream

Publié le par Simon

C'est cet album qui a tout déclenché, sous sa magnifique pochette. Le groupe alternatif ultime venait de signer sur une major*, ce qui allait bouleverser sa carrière. Je ne parle pas ici de Nevermind (pas encore) mais de l'abum "Goo" de Sonic Youth. C'était en 1990 et Nirvana n'était pas encore le "groupe alternatif ultime". Nirvana était un groupe d'adolescent qui venaient d'enregistrer un album obscur ; selon la légende bien connue les sessions d'enregistrement n'auraient coûté que $606.17 que le pauvre guitariste n'aurait même pas eût les moyens de payer s'il n'avait pas racketté un de ses amis en lui promettant d'apparaître crédité comme guitariste sur la pochette. Raconté comme ça, on ne croirait pas que cet album sera certifié platine six ans plus tard, ce qui sera pourtant le cas. Et tout ça grâce à (à cause de?) Sonic Youth et de "Goo". Les new-yorkais viennent en effet de signer chez Geffen, ce qui est quand même un peu étonnant de la part des chefs de file du mouvement "indie". D'ailleurs le groupe entretient encore aujourd'hui cette dualité en sortant des disques assez mainstream chez DGC (David Geffen Company) tout en enregistrant régulièrement des albums plus expérimentaux sur leur label SYR (Sonic Youth Records).

Mais pour l'heure, le groupe ne se contente pas de signer chez Geffen, ils encouragent à faire de même leurs amis de Seattle, le trio de bouseux qui sera bientôt connu du monde entier sous le nom de Nirvana. Pour une raison que j'ai encore peine à comprendre, les commerciaux de Geffen flairent le gros coup commercial. Pourtant quand on écoute le premier album, "Bleach"... ce n'est pas "Negative Creep" qui va vous permettre de décrocher un contrat avec un type désireux de vendre de la musique. Peut-être que c'est "About A Girl" qui leur a mis la puce à l'oreille, en tous cas ça prouve que ces gars savent parfois être un peu plus malins que moi. Toujours est-il que le groupe et signé et qu'on lui alloue un budget conséquent pour enregistrer un album. Les titres les plus célèbres existent déjà en démo (probablement les enregistrements les plus inaudibles qu'il m'ait jamais été donné d'entendre) mais l'enregistrement sera un peu plus difficile. Malgré le montant du cachet, l'ami Kurt pense en effet qu'il peut continuer à appliquer les méthodes d'enregistrements qui ont fait son succès jusqu'ici. A savoir : la première prise est toujours la bonne. C'était aussi le crédo du cinéaste Ed Wood dans les 50's, et quand on voit ses films on se dit que Nevermind aurait bien pût être une chouette parodie de punk. Heureusement les ingénieurs et le producteur Butch Vig s'acharnent encore et encore pour soutirer à Kurt ces morceaux depuis mythiques. Il en résulte une production énergique certes mais aussi très propre. Voire après une grand nombre d'écoute, un peu fade, surtout si on la compare avec le magnifique travail que fera plus tard Steve Albini sur "In Utero".

Cette production s'avère parfaite pour toucher les masses. Elle parvient à transformer "Smells Like Teen Spirit", qui était destinée à dénoncer une génération avachie, en hit mondial et en hymne pour cette génération. Là on peut imaginer que l'auteur de la dîte chanson puisse se poser quelques questions concernant le choix qu'il vient de faire en signant chez une major. D'ailleurs quand on observe les versions live de cette chanson on finit par décéler une certaine lassitude, voire une grande haine de Cobain à l'égard de "Teen Spirit" ; pour vous en rendre compte, rien de tel que la version de ce morceau jouée sur le plateau de Top Of The Pops. Observez le décalage énorme entre l'attitude du public et celle du groupe, tout est dit.


Bref Nevermind annonce déjà tout ce que l'on craignait. Le message du groupe est dénaturé, sa musique affadie (ce qui ne l'emêche pas d'être excellente, certes). Et comme si ça ne suffisait pas l'album se vend très bien. Trop bien. En fait il est aujourd'hui 10 fois platine!!! Et toutes les maisons de disque se précipitent sur cette nouvelle poule aux oeufs d'or en signant tout ce qui ressemble de près ou de loin à un groupe grunge. Si on peut trouver une connexion entre le groupe à signer et Kurt, c'est encore mieux. Jello Biafra (chanteur des Dead Kennedys) a une théorie intéressante à ce sujet: les maisons de disques auraient choisi de signer tous ces groupes blancs pour éviter que la jeunesse middle-class n'aille trouver sa vérité dans les paroles des gangsta rappers et découvrent une autre réalité que celle leur suburbs. C'est vrai que le rock shoegazer de cet époque risque moins de poser des problèmes politiques. La théorie peut sembler un peu exagérée mais rappelez vous : 1992 est aussi l'année des émeutes de Watts.

Tous les groupes font donc leur "coming-out" si j'ose dire. En 1992, c'est "Fontanelle" pour Babes In Toyland, en 1993 "Houdini" pour les Melvins dont j'ai déjà parlé (Atlantic), en 1994 même Kyuss signe chez Elektra pour Welcome to Sky Valley puis Truly en 1995 qui sort un excellent album, injustement oublié ("Fast Stories From Kid Coma") chez Capitol. Bref personne n'est épargné, et ces histoires ne se termineront pas toujours très bien pour les groupes en question (de nouveau l'exemple des Melvins). Pendant ce temps Sub Pop reste LE label grunge, à savoir celui qui découvre les meilleurs groupes avant de se les faire chiper par une major, éternelle répétition de l'histoire de Nirvana. Pour les amateurs de musique indie, souvent très snobs, cette période a dû être un sacré dilemme: peut-on vraiment aimer le même groupe que le reste de la Terre? Aujourd'hui encore ça reste problématique, mais on a trouvé la solution : on dit qu'on préfère largement "In Utero" à "Nevermind" :)

* D'autres groupes avaient certes déjà franchi le pas : Hüsker Dü avait signé chez Warner Bros en 1986 et Soundgarden chez A&M, une filiale d'Universal, en 1989

Publié dans FYI

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