Black Flag - The First Four Years

Publié le par Simon

1983
SST

first4years.jpg L'amateur de rock en général se méfie des compilations et autres best-ofs comme de la peste. Et il a bien raison. Un album rock est une oeuvre à considérer dans son intégralité, avec une cohérence et une progression, pas seulement une collection de morceaux interchangeables et dissociables, contrairement à ce que croient les maisons de disques qui les publient. Ce qui vaut pour le rock ne vaut pas pour tous les genres. Le jazz classique et le doo-wop se dégustent par morceaux, car ils sont les enfants du 78-tours. L'album est lui-même un support en déclin, destiné à disparaître, ce qui me met vraisemblablement au rang des nostalgiques. Mais pour en revenir au format de la compilation, il y en a malgré tout au moins deux qui sont essentielles à votre culture musicale. La première, à moins que vous ne préfériez collectionner la dizaine de 45-tours qu'elle regroupe, ce sont les Sun Sessions d'Elvis. Enregistrée en 1954, il faudra attendre 1976 pour les voir compilées sur un LP. Ce disque est clairement la naissance sociologique (pas tout à fait la naissance musicale) du rock. Un argument qui devrait suffir à vous convaincre.

L'autre compilation mythique dont je vous parle, c'est "The First Four Years" de Black Flag. Le disque regroupe les 4 premiers EPs du groupe, enregistrés de 1978 à 1982, plus quelques bonus. L'EP (extended player) est un format qui a mal survécut au CD. Il en sort encore quelques uns mais de manière très marginale. Pourtant c'était sans doute la distance idéale pour le punk, en particulier hardcore. Moins mercantile que le single, moins prétentieux qu'un album (surtout si on considère le "concept-album"), il laisse assez de place pour s'exprimer sans laisser le temps de s'essouffler. Mais le format ne marche pas sur le long-terme. Il y a quelques singles mythiques, des dizaines d'albums mythiques, et pas un seul EP mythique. Bref on peut saluer l'initiative de SST, le label punk mythique*, qui sort en 1983 ce LP.

Et dès les premières secondes, on comprend qu'on a affaire à un groupe qui mène le punk jusqu'au bout de son concept. Dépouiller le rock. Pas d'intro, le gros riff est balancé sans prévenir, dès "Nervous Breakdown" on s'éloigne des enceintes. Plus fort, plus rapide, ça deviendrait difficilement soutenable (le grindcore, Anal Cunt...) Le son est vraiment crade, très amateur mais quand même puissant. Et oui c'est ça le DIY, rien à voir avec la prod un peu plate de "Nevermind the Bollocks". Autant le dire tout de suite, les premiers efforts de Black Flag rendent pour moi la musique des Pistols bien fade. "Nevermind the Bollocks" me semble un disque TRES surestimé. Malgré ses grandes qualités, il ne va pas jusqu'au bout de son intention. Loin de moi l'idée de créer une polémique, même pour m'attirer de l'audience, mais je perçois vraiment un génie dans certains de ces morceaux que je ne retrouve nul part chez les Pistols. "Wasted", du haut de ses 51 secondes, est le morceau le plus court de l'album. Et pourtant ça suffit au groupe pour tout dire. C'est sans aucun doute le morceau de 51 secondes le plus long de l'histoire de la musique! Dire tant de choses en si peu de temps, pour moi ça relève du génie. Et tous les morceaux ont cette qualité, si bien que l'album défile en un éclair. Après avoir entendu les 16 pistes on est surpris de constater que seules 26 minutes se sont écoulées. Et on en redemande!

Et malgré la courte durée, le groupe trouve le temps d'innover. Il commence par débarasser le rock de tout le superflu pour n'en garder que la rage adolescente qui n'aurait jamais du cesser de le caractériser (EP Nervous Breakdown, soit les 4 premières pistes). La prod sur ces 4 morceaux est un chef-d'oeuvre à sa manière, la négation totale de celle d'un "Dark Side Of The Moon" par exemple. Tout le groupe sonne comme s'il jouait depuis un tonneau. De la batterie, on ne distingue que la caisse claire, tandis que les cymbales forment un joli flou artistique qui se marie très bien au son de la guitare. Et par contraste, la voix semble d'une clarté absolu et d'un puissance incomparable, avec juste ce qu'il faut de reverb pour rendre le tout très caverneux. Le second EP, prévu à la base comme leur premier album (Jealous Again, piste 5-9) marque la politisation du message. On est loin de Jello Biafra, mais "Revenge" s'adresse probablement aux flics de  LA qui aimaient casser du punk , tandis que "White Minority" se moque du suprématisme blanc. On a d'ailleurs beaucoup cru que cette chanson en faisant l'apologie. "No Values" dénonce le manque de volonté de la jeunesse, 11 ans avant "Smells Like Teen Spirit". Les pistes suivantes sont celles de la déconstruction: le groupe devient noisy ("Clocked In", l'intro de "American Waste"). En guise de final, il ralenti son punk jusqu'à l'extrême, inventant donc le sludge avec "Damaged I". Woaw, tout ça en 26 minutes montre en main, je le rappelle! On ajoute au passage un hommage aux pionniers avec une reprise de "Louie Louie", dont l'interprétation est ma favorite, au côté de celle des Kingsmen bien sûr.

blackflag82-copie-1.JPGBien sûr on fait pas une musique aussi violente dans le calme. Le groupe a duré de nombreuses années mais au prix de changements incessants. Rien que ces quatres années de carrière voit défiler 3 chanteurs. Le fondateur Keith Morris s'en va former Circle Jerk, alors qu'après deux années de répétitions, son groupe vient tout juste d'enregistrer son premier EP. Sur le deuxième il est remplacé par Ron Reyes qui est (dis)crédité sur la pochette avec le nom "Chavo Pederast". L'animosité entre Black Flag et Circle Jerk est matérialisée par la chanson "You Bet We've Got Something Personal Against You" que Circle Jerk interprète dans sa version d'origine "Don't Care". Sur les troisième et quatrième EPs c'est Dez Cadena qui tient le micro. Lui même sera plus tard relégué à la guitare pour laisser place à Henry Rollins, mais ceci est une autre histoire. Et les changements de line-ups continueront ainsi pendant toute la carrière de Black Flag, dans les cris et les larmes à chaque fois. Au final on n'a retenu que Henry Rollins comme figure emblématique du groupe, ce qui est totalement injuste puisque c'est le guitariste Greg Ginn qui a été le moteur du groupe pendant 10 longues années.

Au final une compilation indispensable qui remplace avantageusement celle qui était paru l'année précédente ("Everything Went Black") qui pour le coup avait tous les défauts de la compil'. Ce disque reste pour le moi le sommet du hardcore californien, voire carrément du punk.

ti_bug_fck* SST est une label fondé par Greg Ginn qui signera bien évidemment Black Flag mais aussi Sonic Youth, Hüsker Dü, Meat Puppets, Saint Vitus, Bad Brains, Dinosaur Jr, Soundgarden...

Publié dans Albums

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